CHAP 7... Caius Marius, homo novus
Cet homme eut une grande influence entre 120 et 86 a.J-C. Avec Marius, on rencontre le premier de ces imperators de la fin de la République qui vont modifier le cours des institutions et être à l'origine de guerres serviles sanglantes et d'une remise en question du fonctionnement même des institutions.- Plutarque, Vies parallèles
- Salluste, Bellum Jugurthinum
- J.van Oothegen, Marius, Bruxelles, 1921.
I] Le Cursus Honorum
Il est né en 158-7, à Arpinum, au sud-est de Rome. Sa durée de vie est peu commune : plus de 70 ans.
Il est originaire d'une famille équestre inconnue à Rome. Elle est donc relativement
aisée, mais n'a pas de cognomen. Son éducation littéraire est limitée, il ne connaît probablement pas
le grec. En revanche, la vie de campagne lui a donné des murs austères, et n'ayant
pas beaucoup d'aptitude dans l'art oratoire, il se lance dans l'armée.
Sa formation se fait sous les ordres du plus grand général, Scipion Emilien, en Espagne lors du siège de
Numance. Il se fait remarquer
par son sens de la discipline, son courage, et son abnégation. Il a fait parti du corps
d'élite recruté par Scipion pour cette guerre d'Espagne, dans lequel on remarquera un
contingent de Numides commandés par Jugurtha.
Marius entame ensuite un cursus honorum avec pour première charge
le tribunat militaire
dans un Etat Major en Espagne avec Scipion Emilien.
En 121, Marius est élu questeur. Cette
fonction permet de faire deux observations : en 121, il aura été marqué
par le meurtre du Gracque, et il se tournera toujours désormais vers les populares.
Ensuite, avec la questure, Marius passe de l'ordre équestre au rang de sénateur.
En 120, il est élu tribun de la plèbe grâce au
consul de l'année, L. Caecilius Metellus Dalmaticus.
Mais il échoue à l'édilité.
En 115, il est élu préteur à la dernière
place et il a déjà 42 ans.
En 114, il tire au sort avec le titre de propréteur
le gouvernement de l'Espagne Ulterior. Ce gouvernement a été assuré avec beaucoup de compétence : il a
lutté contre le brigandage et lancé l'exploitation des mines. Au retour d'Espagne, il se
marie remarquablement en 110 avec une Iulia, la future tante de Jules César. C'est un mariage habile : les Iulii sont des patriciens qui commence à
nouveau à faire parler d'eux : Sex. Iulius Caesar, le frère de Iulia sera élu sénateur.
En 109, Marius est emmené en Afrique
pour lutter contre Jugurtha par L. Caecilia Metellus avec le titre de légat. Mais il se brouillera avec Metellus car il veut
se présenter aux élections du consulat en 108. Il passe outre les ordres
de Metellus, et il est élu pour l'année 107 par une alliance entre
chevaliers et populares. Cette élection fut triomphale. En trois ans il met fin à
la guerre en faisant capturer Jugurtha par son questeur Sulla. La guerre prend fin en 105 et Rome établi sur la Numidie un roi docile, vassal de Rome.
II] L'alliance entre Marius et les populares
Cette alliance est le moteur des réformes de Marius.
A/ Les réformes militaires
1) le recrutement des soldats
Cette nouvelle façon de recruter les soldats entre dans le cadre de la
préparation de la guerre contre Jugurtha : Marius avait besoin de plus d'hommes. C'est
pourquoi il fit appel à des troupes auxiliaires, à des soldats du Latium et à des
vétérans. Mais tous ces efforts restent insuffisants. Aussi, Marius innove lors de la
levées des recrues, le dilectus : il ne lève plus selon l'organisation
censitaire, mais selon l'ordre dans lequel les citoyens se présente à lui. C'est ainsi
qu'il engage des prolétaires, des capite censi, ces gens qui n'ont qu'eux-mêmes.
Et c'est l'Etat qui leur fourni évidemment les armes. C'est donc
la condition du cens pour entrer dans l'armée qui a été supprimée. Il est fortement
vraisemblable que les levées de troupes prolétaires se firent surtout au sein de la
plèbe urbaine, c'est gens là qui avait fuit la campagne suite aux premières conquêtes
de Rome (v. la question agraire)
Marius n'a pas rencontré l'hostilité du sénat pour établir cette
mesure car Rome est alors
engagée en 107 sur plusieurs fronts à la fois, non seulement en Afrique
contre Jugurtha, mais aussi au nord, contre les populations germaniques : Les Cimbres et les Teutons.
2) Les conséquences de cette réforme
Elles sont importantes : l'armée
romaine n'est plus une armée de conscription mais une armée de métier qui regroupe des
hommes vivant de la guerre et pour la guerre. Ce sont des troupes constituées de
mercenaires, séparés du corps des citoyens, et entièrement dévoués à leur chef qui
leur assure la victoire et le butin.
Voilà comment l'armée romaine
devient à côté de la plèbe un des moyens d'action essentiels des mouvements
révolutionnaires à Rome : il suffit d'un chef ambitieux qui sait utiliser l'armée comme
levier politique (Sulla, Pompée, César).
3) La réorganisation de l'armée
Cette dernière réforme est
importante sur le plan tactique. La légion, unité de base de l'armée romaine, est
portée à 6 000 hommes. La légion est divisée en 10 cohortes, soit 30 manipules ou 60
centuries.
L'armement a été uniformisé. On
supprime la pique, usage macédonien, remplacée par deux armes offensives : le pilum, arme de jet d'origine gauloise
peut-être. Et l'épée espagnole courte, le gladius, qui permet de frapper d'estoc ou de taille. L'armement défensif est
modifié également : le scutum, bouclier ovale, va remplacer le bouclier rond.
Marius a conservé, mais avec des effectifs plus amples, la
cavalerie. Elle est remplacée par l'usage de cavaleries auxiliaires recrutées chez des
peuples dont c'est la spécialité : les Numides. César recrutera des Gaulois et des
Germains.
Avec Marius apparaissent finalement pour chaque légion les
enseignes, à considérer comme les objets d'un culte religieux, et symbole d'un esprit de
corps. Ce sont les aigles d'argent. Mais les légions n'ont pas encore de noms (seulement
après la guerre des Gaules, César).
B/ Les conséquences politiques des victoires militaires
Pendant l'année 106,
Marius est proconsul, et pareillement en 105. Cette année là voit la fin
de la guerre en Afrique : le 1er janvier 104, Marius célèbre
son triomphe. Il en retire un immense prestige ; sa popularité est à ce moment
considérable.
C'est pourquoi en 105
il est élu consul pour l'année 104, in
absentia, c'est son second consulat. C'est illégal ! En
fait, cela durera cinq années contre tous les usages grâce au soutien de la plèbe et de
l'armée gavée de butin.
1) L'homme providentiel
Rome est alors dans une situation critique : c'est la période de l'invasion des Cimbres et des Teutons qui ont fait irruption en Gaule dès 120 et notamment dans
la Provincia.
Ce sont des populations qui viennent des rives de la Baltique. Ils ont été chassés de leur
région d'origine par un raz-de-marée vraisemblablement (d'après Strabon), ou bien par
des conditions difficiles, voir la menace d'autres peuples. Quoi qu'il en soit, c'est un
peuple qui migre avec femmes, enfants, et vieillards. Ce qu'ils cherchent, se sont des
terres pour s'établir. Six généraux romains ont été envoyés contre eux entre 113
et 105. Ils ont tous échoué ; entre autre, Q.
Servilius Caepio a été écrasé près d'Orange le 6 août 105.
La panique s'est installée à Rome à la suite de l'annonce de cette
défaite : les romains ont peur de revoir l'épisode de Brennus. Voilà pourquoi Marius, consul en 105, va être envoyé en
Gaule. Il remet en état l'armée, et attend l'ennemi qui faisait un tour en Espagne !
Dans son entreprise, il a été aidé par deux hommes : Sylla et Sertorius.
Ils se sont déguisés tels des James Bond antiques pour faire du renseignement, se
mêlant à la troupe de barbares. Marius peut ainsi informer les troupes des murs de
leurs ennemis : c'est un travail pédagogique.
Il est réélu en 104 pour l'année 103 in absentia. En Gaule, toujours
attendant les ennemis, il occupe les troupes en faisant creuser un canal joignant la mer
au Rhône, les fossae marianae. Puis fait un tour à Rome pour se faire élire en 103
pour l'année 102. C'est alors son quatrième consulat.
Marius revient en Gaule précipitamment en 102 et écrase
les Teutons près d'Aix-en-Provence. Il est alors réélu consul pour l'année 101. Il écrase
ensuite les Cimbres à Verceil
le 30 juillet 101.
Ces victoires représentent le sommet de sa carrière. Sa popularité est
extrême, celle de l'homme providentiel. Se pose alors à lui de nouvelles questions :
comment se maintenir au pouvoir ? Comment récompenser les troupes ? Il se fait élire
consul une sixième fois grâce à des tribuns de la plèbe démagogues qui reprennent la
politique des Gracques : Saturnius et Glaucia
Marius va alors tenter de caser ses soldats sur des terres ; cette
alliance entre Marius et des tribuns de la plèbe va entraîner des réformes agraires et
judiciaires. Elles avaient commencé dès l'année 103 en fait.
C/ Les réformes "populaires"
1) La loi agraire de 103
Votée par les comices, elle permet à Marius d'allouer à ses vétérans des
lots de terres de 100 jugères (25ha) sur des terres non encore distribuées de l'ager
publicus africain, notamment en Numidie. Voilà pourquoi certaines cités de Tunisie revendiquent leur fondation
par Marius.
2) La loi coloniale de 100
Elle prévoit la création de colonies en Sicile, en Achaïe, Macédoine,
colonies qui devaient être financée avec le trésor des Volques Tectosages. Ce trésor disparut entre
Toulouse et Narbonne !
3) Les lois frumentaires
Elles sont votées pour abaisser
encore le prix du blé distribué aux citoyens pauvres, ceux-là qui soutiennent cette
politique novatrice.
4)
La Lex de Maiestate
C'est une réforme judiciaire qui
prévoit la peine capitale contre quiconque aurait entamé la "majesté du peuple
romain".
Ces mesures montrent que le peuple, guidé par les populares, souhaitait mettre la main sur l'Etat. La Lex de Maiestate fut appliquée contre les vaincus d'Orange qui furent exilés. Le terrain à Rome est donc occupé par des démagogues, des alliés de plus en plus encombrants pour Marius. Les deux tribuns comptaient bien se faire réélire au tribunat de la plèbe. Mais ils ont eut le tort de laisser assassiner en 100 le futur consul pour l'année 99 : C. Munnius. C'est cet assassinat qui fait tergiverser Marius ; le sénat ordonne par Senatus Consulte Ultimo de tout faire pour rétablir l'ordre. En 100, Marius fait arrêter les deux tribuns de la plèbe qui seront lynchés par la foule.
III] Marius, simple particulier : 99-91
On attendait à Rome, voir Marius se présenter à la censure, couronnement
normal d'une carrière exceptionnelle. Mais Marius n'a pu s'opposer au retour de Q. Caecilius Metellus, et il part avec sa
femme et son enfant pour un voyage en Orient (Délos, Mithridate au Pont). A son retour,
il fait un rapport au sénat sur la situation en Asie. Après cela, il vit à Rome en simple particulier, usant de son
prestige uniquement pour favoriser ses amis, permettre l'ascension à la citoyenneté
romaine à des soldats italiens ou leur inscription au rang équestre.
Mais ces mesures libérales sont remises en cause par
la loi de 95, la Lex Licinia Mucia, par ceux-là même qui en 91 appuieront la proposition de
loi d'un tribun de la plèbe Marcus Lipius Drusus qui voulait accueillir en masse les Italiens dans la
citoyenneté romaine. Cette loi sera à l'origine de la guerre sociale.
Marius intervient plus en témoin en faveur d'amis accusés par la
nobillitas.
Marius est un homme d'extraction modeste, arrivé au sommet de la
gloire, ce qui exceptionnel pour un homo novus.
Marius est avant tout un militaire, un stratège qui a sorti Rome de
deux menaces graves : un conflit en Afrique du Nord et une invasion dangereuse pour
l'Italie.
Marius est un allié du parti populaire qu'il a soutenu dans son
ascension. Mais il n'a pas voulu en être le prisonnier.
Enfin, Marius bon général est un piètre politique, trop hésitant,
manquant de souplesse, de diplomatie. En outre, il hésite à se servir de l'armée pour
établir un pouvoir personnel.
Texte établi à partir d'un cours de
faculté suivi en 1998-9
Grands Mercis au professeur