C'est sur Lycurgue, qui leur a donné des lois
dont l'observance a fait leur prospérité, que je reporte mon admiration, et je le
regarde comme un homme qui a poussé la sagesse jusqu'à la dernière limite. Au lieu
d'imiter les autres Etats, il légiféra au rebours de la plupart d'entre eux et rendit
ainsi son pays éminemment prospère.
Par exemple, pour commencer par le commencement, considérons la procréation
des enfants. Chez les autres, les jeunes filles qui sont destinées à être mères et qui
passent pour être bien élevées se voient mesurer le pain et les viandes aussi
strictement que possible ; quant au vin, elles s'en abstiennent entièrement ou le boivent
coupé d'eau. Les autres Grecs veulent que les jeunes filles vivent comme la plupart des
artisans, qui sont sédentaires, et qu'elles travaillent la laine entre quatre murs. Mais
comment peut-on espérer que des femmes élevées de la sorte aient une magnifique
progéniture ? Lycurgue, au contraire, pensa que les esclaves suffisaient à fournir les
vêtements, et, jugeant que la grande affaire pour les femmes libres était la maternité,
il commença par établir des exercices physiques pour les femmes, aussi bien que pour le
sexe mâle ; puis il institua des courses et des épreuves de force entre les femmes comme
entre les hommes, persuadé que si les deux sexes étaient vigoureux, ils auraient des
rejetons plus robustes.
Voyant que, dans les premiers temps du mariage, les hommes s'accouplent à
leurs femmes sans observer de mesure, il décida qu'on ferait le contraire à Sparte, et
il établit qu'il serait honteux d'être vu entrant chez sa femme ou sortant de sa
chambre. Dans ces conditions, les époux se désirent davantage l'un l'autre, et les
enfants, s'il en naît, sont plus vigoureux que si les époux sont rassasiés l'un de
l'autre. En outre, il ne permet plus à chacun de se marier au temps qui lui convenait ;
il ordonna que l'on prît femme dans la force de l'âge, persuadé que cette loi aussi
contribuerait à la procréation de beaux enfants.
Il pouvait arriver néanmoins qu'un vieillard eût une jeune femme. Or,
voyant qu'à cet âge on garde sa femme avec un soin jaloux, il fit une loi à l'encontre
de cette jalousie, et voulut que le vieillard, choisissant un homme dont il admirât les
qualités physiques et morales, l'amenât à sa femme pour lui faire des enfants. Si
d'autre part un homme ne voulait pas cohabiter avec une femme et désirait pourtant avoir
des enfants qui lui fissent honneur, Lycurgue l'autorisa à choisir une femme qui fût
mère d'une belle famille et de bonne race, et, s'il obtenait le consentement du mari, à
avoir des enfants d'elle. (...)
Sur la procréation des enfants, Lycurgue a donc établi des règles
contraires à celles des autres. Est-il parvenu à donner à Sparte des hommes supérieurs
en taille et en force ? je laisse à qui le voudra le soin d'en juger.
Xénophon, La République des Lacédémoniens,
I. |